La Lieutenance à Honfleur a accueilli Linh Giang Nguyen, chercheuse vietnamienne en droit de l’homme, pour une résidence de recherche en mars 2025 axée sur la protection du patrimoine culturel de son pays. Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec elle pour comprendre son parcours, son objet d’étude et les enseignements qu’elle tire de son séjour en Normandie.
Bonjour Linh Giang Nguyen. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
« Bonjour. Je suis chercheuse à l’Institut de l’État et du Droit à Hanoi depuis 2000. Cet institut est affilié à l’Académie des Sciences sociales du Vietnam et a pour mission d’étudier la loi et de proposer des recommandations au gouvernement vietnamien pour l’évolution de ses textes juridiques. Au cours de mes 25 années de recherche, je me suis spécialisée dans les questions liées aux droits de l’homme et j’ai publié de nombreux articles et chapitres d’ouvrages. J’ai également un lien fort avec la recherche française puisque j’ai été boursière de l’Agence Universitaire Francophone et j’ai réalisé ma thèse en droit public à l’Université de Toulouse 1 Capitole sur le mécanisme constitutionnel de protection et de promotion des droits de l’homme au Vietnam. »
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser plus particulièrement au patrimoine culturel ?
« Mon intérêt pour les droits culturels et le droit au patrimoine culturel vient d’une curiosité pour la culture, la diversité culturelle et la préservation des valeurs culturelles. Ayant des amis travaillant à l’Institut de la Culture, j’ai pris conscience des défis liés à la gestion et à l’exploitation du patrimoine au Vietnam et de la nécessité de s’inspirer des expériences d’autres pays, notamment la France, reconnue pour sa politique de protection du patrimoine. »
Comment avez-vous découvert la Résidence de Recherche pour le Bien Commun à Honfleur ?
« C’est une heureuse coïncidence ! Au moment où je cherchais de la documentation sur mon sujet de recherche, un ami m’a parlé de la Résidence. J’ai vu cela comme une opportunité précieuse d’approfondir mes recherches en France et j’ai donc postulé. J’ai eu la chance d’être acceptée et ces deux semaines à Honfleur ont été extrêmement bénéfiques grâce au soutien de toute l’équipe. »
Honfleur ©LGN
Pagode ©LGN
Quel est l’objet de votre étude ici ?
« Mon étude porte sur la gestion et l’exploitation des patrimoines culturels appartenant à la communauté au Vietnam. La loi vietnamienne distingue la propriété du peuple tout entier, la propriété privée et la propriété commune. Ma recherche se concentre sur cette dernière catégorie. Alors que la gestion des patrimoines appartenant à l’État ou à des individus est relativement claire, il existe des zones d’ombre concernant les patrimoines communautaires. La délimitation entre la gestion étatique et le droit de gestion de la communauté n’est pas toujours évidente, ce qui peut affecter les droits de la communauté. Par exemple, un monument appartenant à une communauté locale peut être soumis à une réglementation étatique stricte une fois reconnu comme patrimoine provincial ou national, restreignant ainsi le droit de la communauté à le gérer et à l’exploiter. »
Quels sont les enjeux concrets de cette problématique ?
« La communauté a un rôle essentiel dans la protection et la préservation de son patrimoine. Cependant, une gestion entièrement laissée aux communautés peut entraîner des problèmes comme un entretien non professionnel ou le vol d’antiquités. C’est pourquoi, pour de nombreux sites, des conseils de gestion de monuments sont créés. Le problème réside dans la coordination de ces conseils avec la communauté locale et la représentation de cette dernière au sein de ces instances. Parfois, pour les petits sites, les autorités locales prennent des décisions sans consulter la communauté. Cela peut mener à la marginalisation de petits patrimoines villageois ou à un transfert involontaire du droit de gestion des communautés vers les organes étatiques. »
Festival de course de boeufs ©LGN
Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?
« Dans une province, les habitants ont protesté contre la décision du Comité populaire de nommer le gardien d’un temple célèbre, alors que traditionnellement, il était choisi et élu par la population locale. Cette décision a créé de nombreux conflits et a finalement été annulée. Dans d’autres cas, les gardiens doivent passer un concours et être notés par le comité populaire, privant les habitants de leur droit de choisir. De même, pour l’organisation des rituels et festivités sur les sites patrimoniaux, le conseil de gestion prend souvent le contrôle, privant les habitants de leur rôle décisionnel et modifiant parfois les rituels traditionnels. Cette problématique s’étend également au patrimoine immatériel, comme les chants et danses folkloriques, dont l’enseignement autrefois spontané au sein de la communauté est désormais souvent soumis à l’organisation des autorités, risquant d’entraîner une perte de connaissances. La question centrale est donc de savoir comment combiner une gestion étatique efficace tout en garantissant la participation communautaire. »
Tour de la tortue - Hanoï ©LGN
Votre séjour à la Résidence de Recherche vous a-t-il permis d’identifier des pistes de réflexion ?
« Absolument. En étudiant la littérature scientifique, en rencontrant des experts et en observant la situation en France, j’ai constaté que le patrimoine est ici très bien protégé pour plusieurs raisons. La France dispose d’un cadre juridique très strict avec le Code du Patrimoine et des réglementations sur les monuments historiques. Les agences de gestion des monuments sont très professionnelles, avec un rôle important du Ministère de la Culture et d’organismes comme le Centre des monuments nationaux et la Commission française pour l’UNESCO. Des ressources financières stables sont allouées par le gouvernement, et l’initiative de la Fondation du Patrimoine est particulièrement intéressante pour la sauvegarde du patrimoine local non protégé. De plus, la sensibilisation du public à la protection du patrimoine est très forte, notamment grâce à des programmes d’éducation et des événements comme les Journées européennes du patrimoine. Enfin, les politiques d’exploitation du patrimoine pour un tourisme durable sont également un modèle à étudier. J’ai d’ailleurs eu l’opportunité de rencontrer ici la Commission nationale française de l’UNESCO, qui va suivre mes travaux et m’a proposé de rejoindre ses experts internationaux. »
Quelles sont les recommandations concrètes que vous pourriez faire au gouvernement vietnamien à la suite de ce séjour ?
« J’ai tiré plusieurs recommandations de mes recherches ici :
Le modèle de la Fondation du Patrimoine me semble particulièrement pertinent pour protéger le petit patrimoine culturel appartenant aux communautés locales. Il permettrait non seulement de sauvegarder ce patrimoine, mais aussi de mobiliser la participation et les contributions financières de la communauté pour sa restauration et sa réparation.
Le concept des Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR), créé en France pour assurer la protection des zones de valeur historique et culturelle face aux constructions modernes, pourrait inspirer le Vietnam. Cependant, il faudra être attentif aux potentiels conflits d’intérêts entre conservation et développement et favoriser une coordination étroite entre les autorités, les investisseurs et la communauté. Il est crucial de renforcer les mécanismes de dialogue entre les autorités locales et les habitants au Vietnam pour que ce modèle soit efficace.
Enfin, la mise en place d’incitations fiscales pour les entreprises et les particuliers contribuant à la restauration et à la réparation des monuments culturels et historiques, sur le modèle français, pourrait encourager une plus grande participation financière des communautés à la protection de leur patrimoine.
Votre séjour à la Résidence de Recherche pour le Bien Commun semble avoir été très fructueux.
« En effet. Ce séjour m’a permis d’approfondir mes recherches, de rencontrer des experts et de découvrir des modèles inspirants pour la protection du patrimoine communautaire au Vietnam. Je suis très reconnaissante de cette opportunité et je suis impatiente de pouvoir mettre à profit ces enseignements dans mes futures recommandations au gouvernement vietnamien. »
Nous vous remercions Linh Giang Nguyen pour cet éclairage passionnant sur vos recherches et votre engagement pour la sauvegarde du patrimoine culturel.
Le public était invité à rencontrer Linh Giang Nguyen et les deux autres chercheurs de la résidence le 20 mars 2025 à l’auditorium de Honfleur pour découvrir leurs travaux et leurs témoignages. La Résidence de Recherche pour le Bien Commun invite également les chercheurs, les acteurs de la société et le grand public à s'engager à leurs côtés pour le Bien Commun.
Honfleur, le 20 mars 2025 ©CC-BY Linh Giang Ngyen & Résidence de Recherche pour le Bien Commun