Bruno Drouot, maître de conférences à l’Université de Caen Normandie, est un économiste passionné par l'environnement maritime, lui qui a grandi et vit à quelques mètres de la mer. Fort de plus de dix ans d'expérience universitaire et d'un parcours incluant une thèse à l'IFREMER, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer dédié à la connaissance et à la protection de l'océan, il combine une expertise en économie et en management.
Ses travaux portent sur les enjeux économiques et sociaux de la pêche, qu'il aborde comme un « bien commun ». Sa recherche, qui mobilise aussi la biologie marine et la géographie pour cartographier les zones d'activité, va au-delà des modèles théoriques, bien qu'il les utilise pour simuler les impacts de nouvelles règles de gestion sur les pêcheries. Bruno Drouot privilégie une démarche de terrain, indispensable selon lui. Il dialogue avec les acteurs du secteur – pêcheurs, mareyeurs, décideurs publics – pour co-construire des outils de gestion concrets, les aidant notamment à mieux structurer et piloter leur activité face aux risques multiples. Cette approche est d'autant plus fructueuse que les pêcheurs sont de plus en plus réceptifs à être écoutés et accompagnés. Sa présence à la Résidence de Honfleur s'inscrit dans cette volonté de faire avancer la science au service d'un avenir plus juste et plus durable.
Nous l'avons rencontré pour mieux comprendre sa démarche et ses convictions :
Votre recherche est portée par une conviction forte : préserver l'environnement maritime et ceux qui en vivent. Pourquoi est-ce si fondamental pour vous ?
Bruno Drouot : Oui, c'est une conviction profonde qui guide mon travail. J'ai grandi au bord de la mer, j'y habite aujourd'hui, et c'est un environnement qui m'est très cher et précieux. Il l'est pour nous tous, et surtout pour les générations futures. Dans mon approche d'économiste, je considère les ressources marines, comme les poissons et les coquillages, comme un « Bien commun ». Cela implique une responsabilité : nous devons en prendre soin, les préserver pour aujourd’hui et pour demain. Il est crucial de trouver un équilibre entre les prélèvements nécessaires à l'activité et la conservation des stocks sur le long terme, dans une logique de développement durable. L'économiste Elinor Ostrom, Prix Nobel en 2009, a beaucoup travaillé sur la gouvernance des biens communs, et ses exemples issus de l'agriculture, de la pêche ou de l'eau sont très éclairants.
Quels sont les principaux défis pour la gestion de ces biens communs marins ?
Bruno Drouot : Le défi majeur, comme le montrent les travaux sur les biens communs, c'est que lorsque ces ressources sont rares et très recherchées, elles sont "presque condamnées à être surexploitées". Cela s'explique par la rivalité entre les acteurs – les pêcheurs – et le fait que l'accès à la ressource n'est pas toujours limité, ce qui peut mener à la surexploitation et à des stocks en mauvais état. À Honfleur, par exemple, on peut citer la sole ou le bar commun, des espèces côtières à forte valeur marchande dont les stocks sont souvent fragiles.
©CC-BY David Jones
Existe-t-il des exemples de gestion réussie de ces biens communs marins ?
Bruno Drouot : Absolument. Il est important de montrer que c'est possible. L'exemple de la coquille Saint-Jacques en Baie de Seine est très parlant et tout le monde à Honfleur le connaît. Cette ressource se porte bien. Cet exemple local illustre qu'il est possible d'avoir des stocks sains tout en assurant une exploitation satisfaisante pour les pêcheurs normands. Pour la coquille Saint-Jacques aujourd'hui, le problème n'est pas la surexploitation, mais plutôt de trouver des débouchés et un prix satisfaisant sur le marché. Cela montre qu'une gestion durable est non seulement possible, mais aussi bénéfique à long terme.
Vous travaillez beaucoup sur les labels pour les produits de la mer. Qu'est-ce que cela apporte ?
Bruno Drouot : C'est un sujet passionnant qui est actuellement ma principale thématique de recherche. Les labels, que l'on voit de plus en plus sur les étals, envoient un « signal différent » au consommateur. Ils apportent des informations variées : qualité, zone de pêche, durabilité de la pêcherie, technique de pêche respectueuse de l'environnement. Ma recherche porte spécifiquement sur le supplément de prix que le pêcheur perçoit lorsqu'il vend un produit labellisé. Même s'il peut y avoir des débats sur certains labels, l'idée est de fournir une information plus transparente.
©CC-BY-NC-SA Alvarden
Quel message final souhaiteriez-vous adresser au grand public, en particulier aux consommateurs ?
Bruno Drouot : Mon message est simple : il faut « prendre soin des biens communs ». Pour les consommateurs, cela se traduit par un appel à être « éclairé et avoir le courage de faire des choix de consommation au service du bien commun ». Aujourd'hui, avec les labels, on a un accès incroyable à l'information. Parfois, le numéro du bateau est indiqué, permettant de retrouver toutes les données sur l'origine du poisson, le pêcheur, le lieu de pêche. J'encourage chacun à se questionner sur son acte d'achat et à privilégier, par exemple, « des petits bateaux de pêche qui s’inscrivent dans ce type de démarche ». La vente directe est aussi une excellente solution pour rapprocher le producteur et le consommateur. En faisant ces choix, nous contribuons concrètement à une gestion plus durable des ressources marines.
La recherche de Bruno Drouot à Honfleur, soutenue par la Résidence pour le Bien Commun, rappelle que l'économie et la science peuvent et doivent dialoguer avec la société pour relever les grands défis environnementaux et sociaux de notre époque.